Après l’Institut Giacometti à Paris, où ses sculptures fragmentées dialoguaient avec les chefs émaciés de l’artiste suisse, l’artiste libanais Ali Cherri, né en 1976 à Beyrouth, présente l’exposition « Le Songe d’une nuit sans rêve » au Frac Bretagne, à Rennes, jusqu’au 19 mai (après le GAMeC de Bergame). Des soldats en terre qui semblent plongés dans un sommeil profond, y occupent l’espace, bordé de cactus fragiles. C’est à Paris, à Rennes, puis dans son atelier de Pantin, en Seine-Saint-Denis, qu’on a rencontré l’artiste, à la veille de son départ pour le Liban où il entame le repérage de son prochain film. Dans un coin du studio où des assistants s’affairent sur des masques et des statues composites, les rameaux qu’il a moulés sur le vif pour sa série du « Jardin de figuiers de Barbarie » ont déjà repoussé. Cet entretien condense plusieurs de nos conversations.
Au Frac Rennes, dans “Le songe d’une nuit sans rêve”, l’artiste libanais Ali Cherri expose ses doutes et ses rêves, au cœur d’un paysage hanté par la guerre qui vient.
Né au début de la guerre civile au Liban, en 1976, Ali Cherri n’a jamais conçu sa pratique artistique autrement qu’en lien avec cette expérience fondatrice de la menace. Marqué comme tant d’autres artistes libanais·es (Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Akram Zaatari, Lina Majdalanie, Rabih Mroué, Walid Raad, Ayman Baalbaki…) par le sort de son pays fracturé, il se dit habité par la question des ruines, de la violence, de la construction d’un récit après un traumatisme. “Toutes ces questions hantent encore mon travail aujourd’hui”, reconnaît-il au moment de l’ouverture de son exposition au Frac Bretagne, Le songe d’une nuit sans rêve (qui se tient en même temps que la carte blanche que lui a confiée l’Institut Giacometti à Paris, Envisagement, pensée comme un dialogue entre ses sculptures en plâtre et celles du grand sculpteur, où il se pose la question : qu’est-ce qu’un visage ?).
Elles semblent s’observer et faire connaissance. Elles se tournent pudiquement l’une vers l’autre en inclinant légèrement l’épaule et restent là à s’entretenir muettement et à se dévisager. A l’Institut Giacometti, qui les réunit sur socle et sous cloche, dans l’exposition Envisagement, Femme debout (1961) du maître suisse et la Grande Dame (2023) d’Ali Cherri ont des choses à partager. Ça saute aux yeux. L’une, en plâtre peint, comme l’autre, faite d’argile et de sable, étirent leur frêle silhouette sans épaisseur à 50 centimètres de hauteur et leur posture (bras croisés sur la poitrine pour l’une, jambes si serrées pour l’autre qu’elles n’en font plus qu’une) exprime une aspiration à la discrétion, à l’effacement, au recueillement. Elles intriguent, intimident et attendrissent.