La Galerie Imane Farès présente Hope is a good swimmer, la première exposition personnelle de James Webb.
L’été dernier, James Webb présentait La Syzygie dans l’intégralité des espaces publics du Théâtre Graslin à Nantes1. En souhaitant « sonder l’âme du bâtiment », l’artiste a créé un parcours sonore composé de sons enregistrés dans l’édifice – accords des instruments, répétitions des chanteurs, silence nocturne – et d’entretiens réalisés avec des experts2 livrant leur point de vue sur l’architecture du lieu. Ce scénario aux multiples visages révèle chez James Webb la volonté de transmettre et transcender l’héritage d’un patrimoine afin d’assembler les fragments d’une histoire qui s’évapore comme un rêve.
On reconnaît dans les situations et les images composées par James Webb une écriture avec laquelle le voyage est une immersion faites d’ellipses et de déplacements. Parfois étranges, ces œuvres se posent comme des énigmes qu’il faut tenter de décrypter. Dans sa pratique, le son est à l’identique d’un corps avec lequel les traditions, les croyances et leur modes de communication caractérisent un enjeu majeur pour comprendre les clés d’une société. L’aventure se poursuit pour le visiteur car l’œuvre est habitée par sa présence. En effet, Webb encourage le public à s’abandonner dans l’épaisseur du son et de ses vibrations afin de percer la frontière sensible entre le réel et l’imaginaire.
Artiste incontournable de la scène sud-africaine, James Webb questionne nos processus de pensées et le raisonnement social et identitaire de l’individu. Hope is a good swimmerrésonne comme un état de conscience à chercher dans l’ici et maintenant. Dans cet horizon que l’on fantasme ou que l’on vit, la transmission d’une culture, le mouvement collectif et le soulèvement spirituel conditionnent l’être humain et façonnent les murs d’une société.
Créée en 2014, Al Madat est composée de quatre tapis et de l’enregistrement d’un dhikr soufi, chanté par les patients du Centre de désintoxication Sultan Bahu de Westdridge3 (Le Cap). Le dhikr, littéralement « souvenir » est une récitation islamique où des noms sacrés sont chantés. Ici, la répétition des mots se déploie avec frénésie parmi les voix d’un groupe de soixante personnes. Proche de l’invocation, Al Madat4 constitue l’appel d’un mouvement collectif luttant contre l’addiction à travers un passage à l’acte orienté vers la religion. Al Madat expose le besoin d’échapper au réel et à la violence vécue au quotidien. À la lisière de la catharsis et du tragique, cette fresque sonore dépeint un choeur5 qui se métamorphose pendant la séance, arguant les mêmes mots et les mêmes gestes. Ainsi, la religion et ses rites ouvrent un espace-temps dans lequel dieu incarne le remède pour être délivré.
Si l’on se tourne vers All That is Unknown, le temps se meut face à la caresse d’un échange entre les battements de deux cœurs qui se font face. Diffusés avec deux haut-parleurs à intervalles réguliers, les battements de cœurs communiquent sans se voir, suggérant la complicité entre deux corps toujours présents mais l’oeil ne les voit pas. Amoureux, ennemis ou étrangers, ils sondent un mystère qui nous échappe.
L’humour accompagne souvent le travail de James Webb. Dans une vidéo datée de 2005, intitulée Saturday night can be the loneliest place on earth, un plan fixe présente le parking de stationnement public d’un parc d’attraction situé à Kitakyushu au Japon. Le paysage de ce samedi soir totalement vide ne laisse présager aucune foule dans les allées du parc. Seule la musique diffusée par le haut parleur vient animée l’endroit. Créé en 1990 par Nippon Steel sur le modèle du parc américain, Space World appartient à ces lieux de loisirs qui cherchent à développer le tourisme avec des attractions phénoménales nourries de science-fiction.
Dans cet univers de désolation, moins excitant qu’une aire d’autoroute au cœur du Nevada, une transmission ionosphérique de huit secondes vient perturber la musique et le système sonore du parking. Titrée avec ironie, le samedi soir peut devenir un désert de solitude sauf pour ceux qui, présents et conscients, pourraient recevoir un message des confins de l’espace.
Derrière le regard de l’artiste, on reconnaît la posture du chercheur. James Webb fouille et se documente mais peu d’éléments factuels apparaissent dans l’ensemble de ses pièces. L’essentiel est de transmettre un processus d’écriture qui se réinvente avec le spectateur. Il découvre une histoire sous un autre regard, il déambule dans un lieu avec une autre musique.
Dans Threnody (2016), le voyage est un souffle qui se vit de l’intérieur réveillant les traces, les souvenirs et notre mémoire. La voix dans Helker Skelter (The Beatles, 1968) a été isolée puis inversée afin d’être donnée à chanter à Zami Mdingi6. Diffusée dans un haut-parleur en référence au cercle noir de Kazimir Malevitch (1915), la voix bascule vers le changement et transcende une musique qui devient plus spirituelle, un réveil plus proche de la conjuration et de la glossolalie.
James Webb oriente notre réflexion sur la notion d’espoir à travers notre relation au temps, au spirituel et à l’autre. La perception des éléments se précise, le quotidien révèle d’autres couleurs et des sons inattendus se détachent. Il s’agit ici d’une confession intime qui s’adresse à chacun d’entre nous sur le passage kinesthésique à éprouver dans un espace en haute tension avec le son.
Hope is a good swimmer se présente comme une traversée poétique. L’exposition est écrite comme une odyssée où malgré les naufrages et les tempêtes, le nageur continue d’approcher une mer moins agitée. James Webb nous montre que l’espoir est plus qu’une image ou un sentiment. L’espoir devient ce guide qui nous accompagne avec sa respiration et ses muscles vers l’horizon.
— Mehdi Brit
1. Cette pièce a été présentée au Théâtre Graslin dans le cadre du Voyage à Nantes du 1er juillet au 28 août 2016.
2. Dans le cadre de ce projet, James Webb a interviewé un architecte, un astrologue, un historien, un régisseur, un médium et un psychologue.
3. Fondé par Shafiek Davids en 2005, ce centre de désintoxication est un organisme à but non lucratif traitant la toxicomanie et plus principalement l’héroïne et la méthamphétamine dans les quartiers de Michell’s Plain et Bonteheuwel au Cap. Le centre fonctionne pour traiter la toxicomanie dans les communautés socio-économiques difficiles, en offrant un programme journalier intensif sur six semaines. Sultan Bahu (1628-1691) était un érudit islamique, poète et un saint soufi, fondateur de l’ordre soufi Sawari Qadiri.
4. Al Madat se traduit par « aide ».
5. Une référence au Choros présent dans la tragédie antique.
6. Zami Mdingi est une auteure, compositrice et interprète sud-africaine basée au Cap.