Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Dead Inside (1), 2021. Photo © Tadzio
[+]Dead Inside (1), 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]How to Make a Bird Sing, 2021. Photo © Tadzio
[+]How to Make a Bird Sing, 2021. Photo © Tadzio
[-]Three Characters In Search Of an Author, 2021. Photo © Tadzio
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[-]Euphoria, 2021. Photo © Tadzio
[+]Euphoria, 2021. Photo © Tadzio
[-]The Avian Spirit, 2021. Photo © Tadzio
[+]The Avian Spirit, 2021. Photo © Tadzio
[-]Tree of Knowledge, 2021. Photo © Tadzio
[+]Tree of Knowledge, 2021. Photo © Tadzio
[-]If You Prick Us, Do We Not Bleed?, 2021. Photo © Tadzio
[+]If You Prick Us, Do We Not Bleed?, 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Insomnia, 2021. Photo © Tadzio
[+]Insomnia, 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Return Of the Beast (detail), 2021. Photo © Tadzio
[+]Return Of the Beast (detail), 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Staring at a Thousand Splendid Suns, 2021. Photo © Tadzio
[+]Staring at a Thousand Splendid Suns, 2021. Photo © Tadzio
[-]Staring at a Thousand Splendid Suns, 2021. Photo © Tadzio
[+]Staring at a Thousand Splendid Suns, 2021. Photo © Tadzio
[-]Staring at a Thousand Splendid Suns, 2021. Photo © Tadzio
[+]Staring at a Thousand Splendid Suns, 2021. Photo © Tadzio
[-]Earth, Fire, Water. Ali Cherri, 2021, Éditions Dilecta. Photo © Tadzio
[+]Earth, Fire, Water. Ali Cherri, 2021, Éditions Dilecta. Photo © Tadzio
[-]Life After Life, 2021. Photo © Tadzio
[+]Life After Life, 2021. Photo © Tadzio
[-]Life After Life, 2021. Photo © Tadzio
[+]Life After Life, 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[+]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
[-]Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Dead Inside (1), 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
How to Make a Bird Sing, 2021. Photo © Tadzio
Three Characters In Search Of an Author, 2021. Photo © Tadzio
Euphoria, 2021. Photo © Tadzio
The Avian Spirit, 2021. Photo © Tadzio
Tree of Knowledge, 2021. Photo © Tadzio
If You Prick Us, Do We Not Bleed?, 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Insomnia, 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Return Of the Beast (detail), 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Staring at a Thousand Splendid Suns, 2021. Photo © Tadzio
Staring at a Thousand Splendid Suns, 2021. Photo © Tadzio
Staring at a Thousand Splendid Suns, 2021. Photo © Tadzio
Earth, Fire, Water. Ali Cherri, 2021, Éditions Dilecta. Photo © Tadzio
Life After Life, 2021. Photo © Tadzio
Life After Life, 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
Vue de l’exposition Return Of the Beast, 2021. Photo © Tadzio
(…) j’aperçus le malheureux – le misérable monstre que j’avais créé. Il soulevait le rideau de mon lit et ses yeux, si je puis les appeler ainsi, étaient fixés sur moi. »
Mary Shelley, Frankenstein, 1818
Dans les récits d’épouvante et les films qui les incarnent, les monstres suscitent un sentiment d’effroi, mais également un agréable frisson. La figure du monstre est à la fois séduisante et répugnante et la première rencontre avec elle est souvent envisagée comme un moment de sidération : le regard se fige, les jambes se dérobent et la voix s’éteint avant le temps du cri et de la fuite. Cet échange de regards est une entreprise risquée, qui peut laisser pétrifié, comme le rappelle le mythe de Méduse et Persée. L’une des origines étymologiques du mot monstre – le latin monstrarequi signifie montrer ou exhiber – confirme ces liens entre le regard et le monstrueux. C’est cet instant de sidération, cette stupéfaction qui se révèle être un piège scopique, que semble saisir la sculpture Return Of the Beast d’Ali Cherri : on ne peut pas regarder, mais on ne peut détourner le regard.
Au centre de la quatrième exposition personnelle d’Ali Cherri à la galerie Imane Farès, une créature en marbre unijambiste nous accueille. De ce corps partiellement amputé ne subsiste qu’un pied humain tronqué à l’extrémité du socle, tandis que la jambe gauche, ornée de motifs d’écailles, semble avoir fusionné avec son support. À ces restes mutilés est fixé un visage humanoïde blême. Cernés de traits vert-bleutées, ses yeux sont grands ouverts, comme stupéfaits par notre présence, dans une surprenante inversion des rôles. Intitulée Return Of the Beast (Le retour de la Bête), l’exposition d’Ali Cherri nous invite à reconsidérer la figure du monstre comme construction historique et à réévaluer notre regard sur lui. Comment regardons-nous les monstres ? Comment nous envisagent-ils à leur tour ? Comment advient le monstrueux ? L’exposition investit le trope du monstrueux dans le prolongement des recherches de l’artiste sur l’hybridité, qui est au cœur de sa pratique depuis bientôt une décennie.
Dans diverses langues et imaginaires, le monstrueux se définit en opposition à l’humain. En arabe (la langue maternelle de l’artiste), wahshah, qui dérive de la racine à trois lettres wahsh(signifiant monstre), « renvoie à la distance [qui sépare le monstre, ndt] de la communauté humaine. Ce terme assimile l’absence de l’humain à une condition d’abandon et de bestialité »1. Ce processus de bestialité implique de quitter la communauté à laquelle le paria appartenait. Suite à ce déracinement, l’abandonné revient – un retour qu’il ne peut opérer que sous une forme monstrueuse. Empruntant son titre au texte éponyme de Tarik El-Ariss, l’exposition d’Ali Cherri tient compte de cette dichotomie héritée du passé, dans la suite logique de sa réflexion sur un autre binarisme historique, celui opposant nature et culture. Ce questionnement s’exprime à travers l’habileté qu’a Ali Cherri de travailler l’assemblage, stratégie qu’il a perfectionnée en empruntant la pratique de la greffe aux domaines de la botanique et de la médecine. Cela lui permet de constituer une myriade d’hybrides, assemblages de différents fragments allant d’objets délaissés à des artefacts précieux, de griffes de corbeau naturalisées à d’autres débris moins identifiables.
Ce nouveau corpus d’œuvres, qui s’appuie sur ces hybridations, est néanmoins plus anthropomorphique. L’hybridité et la monstruosité ne sont plus situées ailleurs, dans une altérité lointaine, mais bien au sein du corps humain, comme en témoignent les moulages qui peuplent la galerie. Un visage en céramique fait saillie à partir du mur et regarde fixement devant lui, ses yeux fortement soulignés de noir. Il rappelle l’Œil du dieu Horus, symbole de l’Égypte ancienne qui servait à protéger ou à avertir. L’impression inquiétante qui s’en dégage nous renvoie à la seconde étymologie du mot monstre, le terme latin monerequi signifie prévenir ou mettre en garde2. En regardant plus attentivement, on s’aperçoit que ce regard vient de globes oculaires en verre. Ces prothèses, utilisées après une énucléation, nous placent face à un dilemme interprétatif. L’assemblage est-il un objet protecteur, ou bien l’annonciateur funeste d’un avenir aveugle ?
Autrefois de simples objets déracinés de divers sites, ces créatures nous rendent désormais notre regard. Nous nous demandons alors si ce retour de la bête est un retour à l’humain, au corporel, ou simplement le retour de l’objet-comme-monstre – une entité qui interroge la possibilité de sa propre restitution à son contexte original. Toute analyse conventionnelle de ces fragments est en effet remise en cause. Comme les autres éléments qui composent les œuvres d’Ali Cherri, le visage et la paire de prothèses ont été achetés aux enchères, rendant leur valeur et leur origine incertaines. Cette authenticité compromise est exacerbée par l’assemblage, rappelant les mots de la philosophe Jane Bennett : « un assemblage doit sa capacité d’action à la vitalité des matérialités qui le constituent »3. Staring at a Thousand Splendid Suns est en ce sens une articulation du factuel et du spirituel, de l’organique et du technologique, de l’ancien et du contemporain. Scintillant sur un mur éclairé par les rayons du soleil, ces yeux de substitution résument l’état d’entre-deux qui rend Ali Cherri « littéralement ensorcelé » par ces artefacts4. Il invite ici le visiteur à s’engager dans un rapport affectif avec ces visages et ces corps qui nous ressemblent. Couronné d’une imposante coiffe, Life After Life, un autre faciès à l’apparence humaine se dresse dans la petite niche de la galerie. La confrontation avec son regard, pointé vers le bas, l’air lassé ou peut-être marqué par l’humilité, constitue une rencontre intime et révèle la nature de ces créatures composites : ce sont des entités spirituelles qui nous affectent et peuvent être affectées.
Une certaine puissance d’agir anime ces sculptures, dont la plupart sont figées au milieu d’un geste. Avec ses jambes en terre cuite, Euphoriaparaît pétrifiée dans sa course. La partie supérieure du corps ne ressemble en rien à une figure humaine : une main en marbre noir jaillit de son buste tandis qu’une petite tête de mort repose sur elle délicatement. Le crâne ne tient pas ici lieu de vanité ; il fait partie du vivant et résout la tension entre la vie et la mort. Il en va de même pour les oiseaux naturalisés, les renards blessés, les cerfs mourants et autres animaux accidentés de la route dans La Mort dans l’âme. Ces cadavres, délicatement aquarellés par l’artiste, n’ont rien de macabre, ils en deviennent même attachants.
De même, les petites sculptures ordonnées sur la table ne peuvent être considérées seulement comme des monstres. Comme les animaux tués sur la route placés côte à côte, certaines créatures partagent le même socle, comme si elles formaient une communauté de choses dévaluées et déplacées. Ce sont des monstres par leur apparence, mais aussi par leur condition d’objets déracinés ; ou plutôt des parias qui se rassemblent, rescapés et témoins des catastrophes. Si Ali Cherri a souvent questionné la hiérarchie qui classe les objets, par une critique renouvelée du « musée comme mausolée »5, il pousse ici ce geste plus loin : personnages et oiseaux conversent comme dans How To Make a Bird Sing, habitant un monde qui leur est propre, dans une ignorance heureuse du regard humain qui les a longtemps classifiés. On pourrait presque attribuer, à ces faunes (r)assemblés par l’artiste, les mots que Donna Haraway a utilisés pour parler de « ses semblables » : « Et tel un jardinier décadent qui n’arrive pas à garder en tête les distinctions entre natures et cultures, la forme que prend les réseaux de ma parenté ressemble plus à un treillis, à une esplanade, qu’à un arbre. On ne peut distinguer le haut du bas, et tout semble aller de travers »6.
—Line Ajan, avril 2021