Pour son exposition Let the Darkness Be a Doorway, James Webb propose une rencontre entre le sacré, l’invisible et le nucléaire.
En associant des lieux chargés de mémoire technologique à des gestes spirituels et artistiques, il crée des oeuvres qui interrogent les liens entre perception, histoire et expérience intime.
L’exposition s’ouvre avec Knowing the Ways (2024), une installation sonore basée sur les compositions de Hildegarde de Bingen, abbesse allemande du XIIe siècle célèbre pour ses visions, ses écrits et ses oeuvres musicales. L’oeuvre a été réalisée dans la salle du réacteur de KTH, qui abritait autrefois le R1, premier réacteur nucléaire de Suède, mis hors service en 1970. Dans cet espace situé à 25 mètres sous Stockholm, un choeur interprète cinq Vertus du drame sacré Ordo Virtutum (1151) : l’Humilité, l’Amour, la Crainte de Dieu, l’Espérance et la Miséricorde. L’acoustique unique du site a été documentée grâce à seize microphones placés dans tout le hall, captant la résonance des voix contre les parois et les creux de la salle. L’intervention est diffusée à travers six haut-parleurs installés sur un échafaudage qui semble soutenir la galerie, enveloppant l’auditeur et remodelant l’espace sonore selon sa position dans la salle. Ce faisant, l’oeuvre entrelace la matérialité architecturale du site d’origine avec la dimension spirituelle du chant, créant un environnement où ces deux registres se chevauchent et dialoguent.
La figure d’Hildegarde de Bingen réapparaît dans The Tongue Is a Flame | The Flame Is a Tongue (2025), une bannière inspirée de l’une de ses visions mystiques illustrée sur le frontispice du manuscrit Scivias (1151). Évoquant des associations visuelles de flammes, de langues et peut-être même de tentacules, la bannière rouge et or apparaît comme un symbole de vision et d’interprétation mystiques. Ces visions, que le neurologue britannique Oliver Sacks a plus tard diagnostiquées comme des auras migraineuses, résonnent avec l’expérience personnelle de James Webb, qui souffre lui aussi de cette condition.
Dans la salle vidéo au sous-sol de la galerie est présentée The Sun Will Eat Its Children (2025). Tournée à Tranebärssjön, le lac artificiel qui recouvre aujourd’hui l’ancienne mine d’uranium de Ranstad, en Västergötland (Suède), l’oeuvre se compose de méditations cinématographiques sur la lumière du soleil reflétée sur la surface d l’eau. Ces scintillements contrastent avec ce que le lac dissimule en profondeur. Hypnotiques, les vagues ondulent sous une lumière brûlante tandis que des insectes planent au-dessus de l’eau. Les éclats du soleil font écho aux visions extatiques de Hildegarde de Bingen, fusionnant subtilement mémoire industrielle, biologie intime et perception altérée. Le titre du film fait référence à un langage prophétique et, comme dans Knowing the Ways, met en question le manque d’humilité de l’humanité face à la menace nucléaire.
Une simple photographie d’un ciel bleu clôt l’exposition. James Webb a photographié ce ciel depuis l’hypocentre de la bombe atomique à Nagasaki. Cette image renvoie à l’oeuvre de 2005, Untitled (9th August), installée en prélude à l’exposition comme mémorial silencieux au 80e anniversaire du bombardement atomique de Nagasaki. Profondément marqué par sa visite au musée de la bombe atomique de Nagasaki, Webb fut frappé non pas tant par les objets exposés que par les textes didactiques : Objet en verre fondu, Pierres calcinées d’un jardin de sanctuaire, Casque d’acier contenant les restes d’un crâne, Nuage en forme de champignon photographié depuis un bombardier américain. Ces fragments narratifs, à la fois laconiques et évocateurs, lui laissèrent une impression durable. Pour cette installation, Webb a recopié cinquante de ces légendes en anglais sur des cartons muséographiques individuels. Cette approche minimaliste confère à chaque description une gravité, laissant résonner le vide environnant avec l’absence, ou la présence spectrale, des objets.
Avec Let the Darkness Be a Doorway, James Webb invite à franchir un seuil où écouter, ressentir et voir deviennent des expériences renouvelées et où le sacré, loin du réconfort, agit comme un prisme critique face à la modernité.