© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[+]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[-]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[+]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[-]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[+]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[-]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[+]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[-]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[+]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[-]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[+]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[-]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[+]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
[-]© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2020
Invitée par la Rmn – Grand Palais, Sammy Baloji a conçu deux sculptures exceptionnelles pour les socles de l’escalier Clemenceau du Grand Palais.
Un texte a été commandé à l’écrivain, commissaire d’exposition, essayiste et critique d’art Simon Njami, titré « La rencontre fortuite entre un parapluie et une machine à coudre sur une table de dissection »1 :
La mémoire est une eau stagnante qui ne peut se mettre en marche que par une activation. Cette activation n’est ni factuelle ni historique. Elle procède d’un autre mécanisme ; d’un choc, comme l’image que nous propose Lautréamont de la « rencontre fortuite entre un parapluie et une machine à coudre sur une table de dissection ». Dans le cas qui nous intéresse, imaginons un instant que le « parapluie » soit l’être colonisé, la « machine à coudre », le colonisateur et la « table de dissection », l’histoire. La colonisation a bel et bien représenté cette fracture radicale qui a modifié le mécanisme mémoriel de ceux qui l’ont subie. Fracture au sens où, à la mémoire originelle s’est superposée une mémoire externe. Le résultat de cette rencontre est le brouillage de toutes les pistes et de toutes les certitudes tant l’enchevêtrement entre les mémoires protagonistes des acteurs du drame est devenu inextricable. La mémoire s’est transformée en une ruine sur laquelle peuvent se projeter toutes les subjectivités. On n’y retrouvera pas de paradis perdu, de théorie des origines ou de vérités avérées, mais des constructions fantasmées. Et lorsque, comme Sammy Baloji, on se lance dans une entreprise de reconstruction, il ne s’agit plus de bâtir à l’identique (chose impossible), mais de sortir des sentiers battus de la représentation. « Je pense que l’idée des deux sculptures m’est venue car j’avais plus besoin de questionner l’histoire. Comment est-ce que nous représentons, et quels sont les mécanismes que nous mettons en place pour parler de la représentation. Est-ce que la représentation se résume à une morphologie humaine ? Quels sont les mécanismes d’écriture, d’identité en quelque sorte qui la sous-tendent ? ».2
Voici donc la question essentielle qui s‘est imposée à l’artiste au moment de poser un acte mémoriel qui représenterait. L’artiste, comme ses propos l’indiquent, a immédiatement compris les limites de la figuration souvent attachée à ce type d’objet et saisi l’importance de la métaphorisation. Une évidence, lorsque l’on y songe, qui joue sur plusieurs plans. Le premier est le matériel choisi pour incarner ses concepts : le cuivre et la musique. Le cuivre contient un double sens. Il s’agit, tout musicien le confirmera, d’une famille d’instruments à vent; mais il s’agit également d’une matière première qui fut longtemps exploitée au Congo, par des autochtones réduits en quasi esclavage. La musique est celle des brass bands qui sont nés à La Nouvelle Orléans au début du XIXème siècle et dont le théâtre de prédilection avait été baptisé Congo Square. « L’idée était de trouver un élément assez intéressant qui pourrait faire une analyse temporelle plus large qu’une simple intervention sur les socles vides du Grand Palais. J’ai voulu faire référence à cette histoire des brass bands que j’ai découverte à travers les archives de William Shepard, un missionnaire afro-américain arrivé au Congo dans les années 1890 avec le projet d’aider à l’émancipation de ses frères congolais. Mais le plus intéressant pour moi, c’est que Shepard va aussi créer ce mouvement de brass bands au Congo, et je suis tombé sur une image d’un groupe de musiciens congolais avec des tambours et des saxophones. »3 Nous sommes ici au cœur de ce que Pierre Verger avait nommé le flux et le reflux4, c’est-à-dire la manière dont l’histoire opère des allers retours permanents, revisitant, à chaque cycle, le sens des valeurs et symboles véhiculés. L’élément déclencheur, Baloji ne me contredira pas, ne fut pas tant la découverte de Congo Square, qui représentait une fiction de l’Afrique, que cette image d’archive montrant des Congolais défilant avec des tambours et des saxophones, inscrivant ainsi dans la culture locale, un élément extérieur qui revenait par effet boomerang. L’église Kimbanguiste, pour ne citer que la plus célèbre des églises congolaises, s’est immédiatement emparée de ce phénomène qui alliait à la fois la célébration, les funérailles et un ordonnancement militaire.
Appliquant à la lettre et à son insu les propos de Jean-Paul Sartre, Sammy Baloji a, dans un glissement phénoménologique, donné une conscience à un objet qui aurait pu apparaître, sans cela, anodin : « L’image (…) c’est une certaine façon qu’a l’objet de paraître à la conscience, ou, si l’on préfère, une certaine façon qu’a la conscience de se donner un objet. »5 Et n’est-ce pas finalement, la meilleure définition de l’histoire ramenée à toute sa subjectivité ? N’est-ce pas une illustration de l’expérience unique que nous pouvons vivre face à un objet qui devient soudain, mélangeant les références à l’envi, une polysémie ? Nous ne pouvons pas réduire l’histoire à l’évidence de sa manifestation, mais à la subjectivité de nos regards, nous murmure, à travers cette œuvre publique, Sammy Baloji. C’est la seule manière de la conserver vivante. L’œuvre de Baloji est une mise en abîme qui rassemble des discours contradictoires. . Ces deux « cuivres », dont il faut se rapprocher pour découvrir les scarifications, sont placés dans des cages métalliques qui renvoient aux expéditions scientifiques des siècles coloniaux avec leurs cabinets de curiosités, leurs rêves d’universalisme, leurs expositions internationales et leurs « découvertes » anthropologiques et botaniques. Installées sur les socles d’un palais construit pour accueillir l’exposition universelle de 1897, ces œuvres font un pied de nez au cadre dans lequel elles ont été installées. Et ce pavillon que l’on pourrait dire hissé pour défendre d’autres territoires, nous dit que l’évidence cherche toujours à déborder de son cadre et qu’il est difficile de contraindre un objet. Un objet ne se limite pas à son apparence. Il contient toujours en lui une somme d’histoires. Il raconte l’histoire d’une histoire, l’histoire d’une rencontre fortuite et enfin, pour citer Ernst Bloch : « La dernière rencontre possible de soi-même, dans l’obscurité de l’instant vécu et perçu dans la question absolue du Nous. »6
—Simon Njami, décembre 2020
1 Lautréamont, Les chants de Maldoror, in Lautréamont, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, n° 218, 2009 [1869]
2 Sammy Baloji lors de la table ronde “Des sculptures publiques pour qui ? Pour quoi ?” organisée par le Grand Palais, modéré par Chris Dercon avec Yves Le Fur, Simon Njami et Dominique Taffin, le 7 décembre 2020, YouTube
3 Sammy Baloji lors de la table ronde “Des sculptures publiques pour qui ? Pour quoi ?” organisée par le Grand Palais, modéré par Chris Dercon avec Yves Le Fur, Simon Njami et Dominique Taffin, le 7 décembre 2020, Youtube
4 Par exemple dans : Pierre Verger, Flux et reflux de la traite des nègres entre le Golfe de Bénin et Bahia de Todos os Santos du XVIIe au XIXe siècle, Bruxelles, De Gruyter Mouton, 1968
5 Jean-Paul Sartre, L’imagination, Paris, PUF, 1949
6 Ernst Bloch, L’esprit de l’utopie, Paris, Gallimard, Bibliothèque de philosophie, 1977 [1923].
Présentation de Johari – Brass Band par l’artiste et Chris Dercon, Président de la Rmn – Grand Palais
Pour continuer à approfondir et à partager le sens de Johari – Brass Band, Sammy Baloji a invité Mo Laudi, artiste, spécialiste de musique afro-électronique, DJ et producteur à créer une playlist et une composition, Congo Square in D# minor.
Mo Laudi également conçu une playlist de 120 titres qui vient entrer en conversation avec les œuvres de Sammy Baloji.