Deniz Eroglu, Baba Diptych, 2016, 2′ 29″, courtesy de l’artiste
[+]Deniz Eroglu, Baba Diptych, 2016, 2′ 29″, courtesy de l’artiste
[-]Deniz Eroglu, Baba Diptych, 2016, 2′ 29″, courtesy de l’artiste
[+]Deniz Eroglu, Baba Diptych, 2016, 2′ 29″, courtesy de l’artiste
[-]Mona Benyamin, Trouble in Paradise, 2018, 8′30″, courtesy de l’artiste
[+]Mona Benyamin, Trouble in Paradise, 2018, 8′30″, courtesy de l’artiste
[-]Mona Benyamin, Trouble in Paradise, 2018, 8′30″, courtesy de l’artiste
[+]Mona Benyamin, Trouble in Paradise, 2018, 8′30″, courtesy de l’artiste
[-]Ndayé Kouagou, GOOD PEOPLE TV – ÉPISODE 1, 2021, 7′23″, courtesy de l’artiste et Nir Altman gallery
[+]Ndayé Kouagou, GOOD PEOPLE TV – ÉPISODE 1, 2021, 7′23″, courtesy de l’artiste et Nir Altman gallery
[-]Ndayé Kouagou, GOOD PEOPLE TV – ÉPISODE 1, 2021, 7′23″, courtesy de l’artiste et Nir Altman gallery
[+]Ndayé Kouagou, GOOD PEOPLE TV – ÉPISODE 1, 2021, 7′23″, courtesy de l’artiste et Nir Altman gallery
[-]Rayane Mcirdi, La légende d’Y.Z., 2016-2017, 14′, courtesy de l’artiste
[+]Rayane Mcirdi, La légende d’Y.Z., 2016-2017, 14′, courtesy de l’artiste
[-]Rayane Mcirdi, La légende d’Y.Z., 2016-2017, 14′, courtesy de l’artiste
[+]Rayane Mcirdi, La légende d’Y.Z., 2016-2017, 14′, courtesy de l’artiste
[-]Wong Hoy Cheong, Re: Looking, 2002-2003, 30′, commandité par le Schauspielhaus de Hambourg, le Theater Ohne Grenzen de Vienne et la Biennale de Venise de 2003, courtesy de l’artiste
[+]Wong Hoy Cheong, Re: Looking, 2002-2003, 30′, commandité par le Schauspielhaus de Hambourg, le Theater Ohne Grenzen de Vienne et la Biennale de Venise de 2003, courtesy de l’artiste
[-]Wong Hoy Cheong, Re: Looking, 2002-2003, 30′, commandité par le Schauspielhaus de Hambourg, le Theater Ohne Grenzen de Vienne et la Biennale de Venise de 2003, courtesy de l’artiste
[+]Wong Hoy Cheong, Re: Looking, 2002-2003, 30′, commandité par le Schauspielhaus de Hambourg, le Theater Ohne Grenzen de Vienne et la Biennale de Venise de 2003, courtesy de l’artiste
[-]Hilary Galbreaith, Bug Eyes Episode 1, 2019, 27′, Production In Extenso, courtesy de l’artiste et In extenso
[+]Hilary Galbreaith, Bug Eyes Episode 1, 2019, 27′, Production In Extenso, courtesy de l’artiste et In extenso
[-]Hilary Galbreaith, Bug Eyes Episode 1, 2019, 27′, Production In Extenso, courtesy de l’artiste et In extenso
[+]Hilary Galbreaith, Bug Eyes Episode 1, 2019, 27′, Production In Extenso, courtesy de l’artiste et In extenso
[-]Gaspar Willman, Slonfa Shenfa, 2021, 11’49 », courtesy of the artist
Gaspar Willman, Slonfa Shenfa, 2021, 11’49 », courtesy of the artist
Gaspar Willman, Slonfa Shenfa, 2021, 11’49 », courtesy of the artist
[+]Gaspar Willman, Slonfa Shenfa, 2021, 11’49 », courtesy of the artist
[-]Deniz Eroglu, Baba Diptych, 2016, 2′ 29″, courtesy de l’artiste
Deniz Eroglu, Baba Diptych, 2016, 2′ 29″, courtesy de l’artiste
Mona Benyamin, Trouble in Paradise, 2018, 8′30″, courtesy de l’artiste
Mona Benyamin, Trouble in Paradise, 2018, 8′30″, courtesy de l’artiste
Ndayé Kouagou, GOOD PEOPLE TV – ÉPISODE 1, 2021, 7′23″, courtesy de l’artiste et Nir Altman gallery
Ndayé Kouagou, GOOD PEOPLE TV – ÉPISODE 1, 2021, 7′23″, courtesy de l’artiste et Nir Altman gallery
Rayane Mcirdi, La légende d’Y.Z., 2016-2017, 14′, courtesy de l’artiste
Rayane Mcirdi, La légende d’Y.Z., 2016-2017, 14′, courtesy de l’artiste
Wong Hoy Cheong, Re: Looking, 2002-2003, 30′, commandité par le Schauspielhaus de Hambourg, le Theater Ohne Grenzen de Vienne et la Biennale de Venise de 2003, courtesy de l’artiste
Wong Hoy Cheong, Re: Looking, 2002-2003, 30′, commandité par le Schauspielhaus de Hambourg, le Theater Ohne Grenzen de Vienne et la Biennale de Venise de 2003, courtesy de l’artiste
Hilary Galbreaith, Bug Eyes Episode 1, 2019, 27′, Production In Extenso, courtesy de l’artiste et In extenso
Hilary Galbreaith, Bug Eyes Episode 1, 2019, 27′, Production In Extenso, courtesy de l’artiste et In extenso
Gaspar Willman, Slonfa Shenfa, 2021, 11’49 », courtesy of the artist
Gaspar Willman, Slonfa Shenfa, 2021, 11’49 », courtesy of the artist
« La télévision est à l’aise avec un million de sujets et se présente comme une exquise généraliste, un filtre encyclopédique qui évite toute spécificité comme Dracula esquivant la Croix. Elle se vante de parler couramment plusieurs langues et de s’exprimer par des centaines de voix, jonglant identités genrées et racialisées comme un esprit qui essaierait différents corps, un transformiste pris d’une frénésie boulimique. »
—Barbara Kruger, “September 1989” in Remote Control, The MIT Press, 1993, p. 48
Tiré de la rubrique que publiait régulièrement l’artiste Barbara Kruger dans la revue Artforum, cet extrait décortique habilement la versatilité de la télévision (en termes de contenus, de genres et de rythmes), une qualité qui fait sa force et sa faiblesse. La télévision, nous dit-on, « évite la spécificité tel Dracula esquivant la Croix ». À travers cette métaphore imagée, Kruger décrit le changement continu du flux de programmes à la télé, et révèle simultanément le champ d’influence du petit écran. Lorsque le texte de Kruger est publié à la fin des années 1980, la portée de cette influence semble particulièrement tentaculaire — tant au niveau géographique et linguistique que thématique – faisant de la télévision une source inépuisable pour les artistes explorant la dimension socio-politique de la fabrique des images, tel·le·s que Kruger elle-même.
Aujourd’hui, les modes de production et de réception de la télévision ont changé, transformant par là même l’aspect physique de l’objet, désormais plat et fin. Son évolution technologique rapide a permis l’avènement d’une culture de l’écran global. Néanmoins, la télévision analogique et son esthétique persistent comme références, notamment dans les pratiques d’artistes né·e·s entre les années 1980 et la fin des années 19901. Tel Dracula esquivant la Croix réunit des œuvres de Mona Benyamin, Deniz Eroglu, Hilary Galbreaith, Ndayé Kouagou, Rayane Mcirdi, Gaspar Willmann et Hoy Cheong Wong— sept artistes qui continuent de questionner la télévision avec fascination, scepticisme et nostalgie. Iels utilisent, s’approprient et dérangent la télévision et ses fonctions, ses codes visuels et discursifs. Ces artistes subvertissent le présupposé selon lequel celle-ci serait une référence culturelle « universelle », y injectant des éléments linguistiques, visuels et musicaux qu’iels expriment depuis des contextes culturels, des positionnements géographiques et politiques spécifiques. Tirant parti de l’immédiateté de l’esthétique et de la grammaire télévisuelles, iels y tissent des récits de transmissions diasporiques, des récits alternatifs et parodiques face aux histoires coloniales, ou des réflexions sur la désinformation et l’appropriation culturelle. Reprenant le format télévisuel, ces récits s’appuient sur l’accessibilité de ces images en vue de produire un discours critique néanmoins empreint de nostalgie envers cet objet hautement familier.
Créées et se déployant dans des environnements distincts, ces œuvres partagent une même méthodologie : elles émanent d’une économie de moyens (matériels, financiers, et surtout humains), qui se distingue des modes de productions propres à la télévision. Chacun·e de ces artistes se met en scène, ou met en scène ses ami·e·s, sa famille ou d’autres amateurices comme personnages principaux de l’œuvre, donnant lieu à des performances troublantes qui ne s’appuient pas sur la virtuosité des acteurices. Iels brouillent les limites entre la performance (comme forme artistique) et le jeu d’acteur (comme forme d’art vivant). Les artistes sont alors confronté·e·s au défi de filmer leurs proches dans un moment de vulnérabilité, tout en échappant à un regard voyeuriste.
Plus que des symptômes de la dévalorisation technique de l’art, ces choix processuels, visuels et conceptuels sont avant tout pratiques. Ils révèlent les conditions-mêmes de la production des œuvres, certaines ayant été réalisées lorsque les artistes étaient encore étudiant·e·s (Mona Benyamin, Rayane Mcirdi, Gaspar Willmann), ou ne s’inscrivait pas encore dans le champ de l’art (Deniz Eroglu). D’autres se réclament d’une esthétique do it yourself liée à leurs engagements écologiques (Hilary Galbreaith) ou à une exigence d’accessibilité (Ndayé Kouagou). Parmi ces pratiques relativement récentes, le film de Hoy Cheong Wong apparaît comme une œuvre pionnière ayant habilement perçu les liens entre le petit écran et la désinformation, exemplifiant de fait cette phrase de Trinh T. Minh-ha: “la vérité se loge entre tous les régimes de vérité”2.
Situé dans une Nouvelle Nouvelle Orléans imaginaire, le film Bug Eyes de Hilary Galbreaith (née en 1989, États-Unis) se déploie comme une série de téléréalité, marquée par un ridicule kafkaïen : les participant·e·s sont des humain·e·s transformé·e·s en insectes, joué·e·s par des marionnettes que l’artiste a réalisé. En accord avec cette méthodologie DIY, Galbreaith insère son propre visage qui devient alors une figure joyeuse et omniprésente qui surveille les participant·e·s du premier épisode de la série. Subvertissant un genre qui est désormais emblématique du divertissement à l’américaine, Galbreaith l’infuse de surréalisme et de tragicomédie.
Le film de Rayane Mcirdi (né en 1993, France), La légende d’Y.Z., recrée des scènes de films d’arts martiaux, généralement produits en Asie (plus spécifiquement à Hong Kong), mais largement exportés et diffusés à la télévision occidentale. Cette vidéo révèle la grande influence qu’a eu ce genre, mais aussi la manière dont sa dissémination à travers des circuits occidentaux a ouvert la voie à certains stéréotypes culturels. L’impressionnant jeu du protagoniste Yacine Zerguit (le cousin de l’artiste) signale l’impact de ces stéréotypes sur les performances contemporaines des masculinités, offrant finalement un aperçu de la vie d’un jeune homme issu de l’immigration algérienne dans la France d’aujourd’hui.
Un autre genre de “remake” s’articulant autour de la question de la masculinité se joue dans le film Baba Diptych de Deniz Eroglu (né en 1981, Danemark). Ici, la télévision apparaît comme un « médium domestiqué »3: l’œuvre a été réalisée à partir de séquences tournées par l’artiste à l’adolescence, montrant son père —un immigré turc qui a dû couper court à sa carrière d’acteur et ouvrir un kebab une fois arrivé au Danemark — chantant dans sa langue maternelle. Juxtaposé à de ce home movie touchant, un autre écran montre l’artiste qui imite son père et chante la même chanson, vingt ans plus tard. Ce récit diasporique de transmission de la langue et de la musique met en avant une méthodologie de travail (artistique) avec les membres de la famille des artistes.
La participation des parents de l’artiste dans les films de Mona Benyamin (née en 1997, Palestine) est une stratégie récurrente. Dans Trouble in Paradise, le remake laisse place à la parodie : l’œuvre réactive des codes propres à la sitcom américaine (allant des rires enregistrés aux stéréotypes de genre) pour les détourner en abordant l’occupation israélienne illégale de la Palestine à travers l’humour noir. Mobilisant ses parents comme protagonistes, Benyamin rend cette démarche attachante, jouant à la fois sur leur connaissance limitée de la langue anglaise sur leur jeu d’amateur et leurs expériences de la Nakba (1948) et de la Naksa (1967) dont iels ne parlent jamais.
Intitulée Slonfa Shenfa (“dormir, travailler” en patois alsacien), la vidéo de Gaspar Willmann (né en 1995, France) exemplifie ce jeu sur les performances dévalorisées, tout en abordant les périls des plateformes numériques de mise en relation. Joué par un acteur recruté en ligne, le personnage principal Cliff quitte son Alsace natale pour “l’Amérique”. Employant un circuit alternatif de production filmique, cette œuvre présente un pastiche d’une histoire classique d’Hollywood, le voyage iconique du rêve américain, formant ainsi un commentaire mélancolique sur les conditions de travail actuelles.
Dans Re: Looking, Hoy Cheong Wong (né en 1960, Malaisie) reprend les formes et stratégies des documentaires politiques afin de composer un récit fictif et absurde dans lequel la Malaisie aurait colonisé l’Autriche. L’exploration visionnaire que fait Wong de la question de la désinformation (ce que nous appelons aujourd’hui “fake news”) résonne avec la vidéo Good People TV de Ndayé Kouagou (né en 1992, France) qui parodie le rapport contemporain entre présentateurice et auditeurice, détournant ainsi l’autorité supposée des présentateurices télé.
[1] La plupart de ces artistes sont né·e·s au moment où les télé cathodiques et les lecteurs vidéos devenaient obsolètes.
[2] Trinh T. Minh-ha, “Documentary is/ Not a name”, October, Vol. 52 (printemps, 1990), p.76
[3] Une expression empruntée au chercheur et spécialiste des médias Roger Silverstone. Voir: Milly Buonanno, The Age of Television. Experiences and Theories, traduit vers l’anglais par Jennifer Radice, The Chicago University Press, 2007.